• Tout Paris tremble sous le canon

    Lettre par ballon monté de 1870

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    Du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871, les Prussiens assiègent la ville de Paris, rendant presque impossibles les communications avec l’extérieur. La voie des airs, grâce aux ballons postaux, permet toutefois à de nombreux courriers d’être acheminés vers leurs destinataires de province, soit environ 2 à 3 millions de lettres réparties sur 67 ballons. Ainsi, un humble témoignage du pénible quotidien vécu par les Parisiens est parvenu jusqu’à nous, de façon tout à fait inattendue, parmi les archives de l’hospice de Morée.

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                    Le 28 novembre 1870, un correspondant parisien rédige à l’intention de ses sœurs Méraux, résidant à Salins (Salins-les-Bains, Jura), une description de son quotidien en temps de siège. Malgré le contexte exceptionnel, les mots restent simples : des nouvelles de connaissances communes et quelques paroles rassurantes viennent ponctuer la lettre d’un peu d’optimisme, malheureusement contrecarré par les lignes anxieuses ajoutées à la verticale, deux jours plus tard, sous le feu des canons. Le temps de guerre concentre les priorités du cours de la vie sur la nourriture, l’état de santé et le moral. Entre les maux du quotidien, transparaissent la colère et la haine contre les Prussiens, l’ennui et la fatigue.

     

                    Le rationnement prévu par le gouvernement est mal organisé et la famine augmente en même temps que l’hiver s’installe. Afin de pallier la rareté des denrées, des boucheries clandestines aux viandes insolites voient rapidement le jour dans les rues de la capitale. On y vend du chat, du chien, du cheval ou du rat que l’on mange accompagné d’un pain noir fabriqué à base d’avoine, de riz et de son[1]. Dans les restaurants du Boulevard Haussmann, la bourgeoisie parisienne peut quant à elle découvrir des « viandes de fantaisie » issues principalement des animaux exotiques du Jardin des Plantes que l’on abat à mesure que la nourriture vient à manquer.

     

     

                    À la tombée de la nuit, la ville est presque entièrement plongée dans le noir car le gaz d’éclairage est réquisitionné pour alimenter les ballons montés. L’absence de chauffage couplée à l’hiver le plus rigoureux du XIXe siècle accentue l’inconfort et la peur de tomber malade, surtout en cette période d’épidémie de variole[2].

    Le 30 novembre 1870, de lourds bombardements se font entendre dans Paris. Il s’agit des tentatives désespérées des soldats français pour briser le siège, ignorant la défaite subie par l’Armée de la Loire à Beaune-la-Rolande, deux jours plus tôt. La méconnaissance de cette information cruciale entraîne des pertes considérables : 9477 morts du côté de la France et 3529 pour la Prusse. Les Parisiens ne savent pas qu’ils entendent alors les prémices de la bataille de Champigny[3].

     

                    Au dos du courrier « par ballon monté » sont visibles deux cachets postaux. Le premier cachet fait état du jour où le correspondant a déposé sa lettre, c’est-à-dire le 30 novembre 1870, rue Saint-Antoine, dans le 4e arrondissement de Paris. Deux ballons montés ont décollé à cette date : Le Jacquart parti de la gare d’Orléans (aujourd’hui Paris-Austerlitz) et Le Jules Favre n°2 également parti du même endroit. Le premier transportait environ 250 kg de courrier et a vraisemblablement disparu en Mer d’Irlande. Du courrier a pu être récupéré au Cap Lizard, en Grande-Bretagne. Le second a atterri à Belle-Île-en-Mer, dans le Morbihan, avec environ 100 kg de courrier à son bord. Le second cachet postal, datant du 6 décembre 1870, suggère que ce courrier est finalement bien arrivé jusqu’à ses destinataires, dans le département du Jura qui portait alors le numéro 38.

                    La présence de cette lettre dans le fonds d’archives de l’hospice de Morée, conservé par les Archives départementales de Loir-et-Cher, est bien énigmatique. Envoyée de Paris et arrivée à Salins-les-Bains, comment cette lettre a-t-elle voyagé jusqu’en Loir-et-Cher ? S'agissait-il d'un courrier précieux appartenant à un patient venu séjourner à l'hospice de Morée ? Les recherches approfondies menées dans les archives de cet établissement n’ont permis de trouver aucune personne du nom de « Méraux ». Peut-être la lettre était-elle en possession d'un descendant de la famille ou d'un proche portant un autre patronyme ? Cette hypothèse semble la plus vraisemblable mais ne peut toutefois être confirmée. Quoi qu’il en soit, et bien que le parcours de cette lettre demeure mystérieux, le témoignage saisissant qu’elle renferme offre un éclairage touchant sur la vie quotidienne des classes populaires en cette sinistre période de l’histoire nationale.

     

    [1] Le pain du siège de Paris (1870-1871) : consulter le site du musée d'art et d'histoire Paul-Éluard 

    [2] Environ 4200 morts entre décembre 1869 et juillet 1870.

    [3] Déroulement de la Bataille de Champigny réalisé par le Musée de Bry-sur-Marne

     

     

    Aller plus loin

     

    • L’imaginaire de la disette durant le siège de Paris, analyse de deux tableaux sur L'Histoire par l'image.
    • Dossier « Le Siège de Paris » sur Gallica

     

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    • AD 41 - 8 H-dépôt (Z 13)
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